Une utilisation du DVD « Mémoire demain » en classe de 3°

par Sandrine Lelièvre, professeur d’histoire.

 

Afin de mieux comprendre les images et les mécanismes de la Shoah, j’ai voulu participer au dernier voyage d’études en Pologne proposé par l’Union des Déportés d’Auschwitz. Avec une quarantaine d’autres professeurs d’histoire et trois témoins – M. Raphaël Esrail, Mme Ida Grinspan, M. Jules Fainzang – nous avons visité les camps d’Auschwitz, de Birkenau, de Majdanek, le site de Treblinka et le ghetto de Varsovie.

La présence des témoins et la qualité de nos guides ont été un enrichissement à la fois personnel et professionnel incroyable. La place du témoin, de l’humain et leur place dans nos pratiques d’historiens étaient au centre de nos visites et de nos débats entre collègues et/ou entre témoins. Cela m’a amené à repenser ma pratique pédagogique en classe. Cependant, il me semble que les collégiens (j’enseigne dans un établissement des Yvelines classé en zone d’éducation prioritaire) sont trop jeunes pour ce type de visite. La rencontre avec les témoins et le visionnage des images les bouleversent et il s’agit bien pour moi de leur faire analyser de manière sensible mais objective cette période de leur programme.

  1. Raphaël Esrail nous a également présenté le DVD Mémoire demain toujours dans un souci de nous aider à travailler en classe à partir de leurs témoignages, de leurs vécus dans les camps de concentration et d’extermination nazis. Ce DVD sera désormais au centre de mon cours, aidé en cela par la fiche d’exploitation pédagogique de M. Claude Dumond à qui j’ai proposé d’assister à l’un de mes cours afin d’« expérimenter » son travail.

Il me semble que le premier écueil à éviter dans l’utilisation du DVD par le professeur est de faire un cours sur le DVD et non plus un cours sur l’étude des mécanismes de destruction des Juifs au niveau européen. Un cours d’histoire se construit par la confrontation de documents. C’est pourquoi j’ai d’abord modifié la fiche de M. Claude Dumond en y ajoutant le  génocide par balles  et la  mort dans les ghettos  grâce aux documents du manuel des élèves. La fiche me paraît être un support important dans la mesure où elle guide le raisonnement. Elle permet aussi à l’élève de questionner une source historique, de comprendre l’articulation entre les différents témoignages et leur complémentarité. La trace écrite est guidée ou dictée par le professeur après les réponses orales des élèves.

Je me suis également interrogée, comme beaucoup de mes collègues, sur la part du sensible, de l’émotion dans l’étude de cet évènement. Je pense que la qualité du DVD permet de ne pas tomber dans cette difficulté. En effet, l’utilisation de cartes et de plans, la volonté d’utiliser un vocabulaire approprié et le découpage en séquences mettent à la fois en valeur et en perspectives les témoignages. Toutefois, il reste au professeur à faire son travail, c’est-à-dire d’interroger la source pour la conceptualiser et la contextualiser. Ce qui m’a paru le plus difficile est le choix à opérer parmi les huit heures de témoignages. J’ai choisi de ne pas montrer les descriptions d’assassinats les plus dures ainsi que les témoignages de Mandelbaum Henryk sur les lieux des fours crématoires. La séquence appelée Krematorium décrit de façon explicite le déroulement des faits. De même, il ne me semble pas judicieux de laisser un élève seul devant son ordinateur, pour découvrir les témoignages. La présence d’un adulte qui l’accompagne est indispensable.

Ce travail n’empêche pas l’émotion. Au contraire, les élèves comprennent bien que les témoins ne se plaignent pas mais qu’ils racontent leur vécu. Je crois que si un évènement est compris et ressenti, il n’en est que mieux retenu. Volontairement, j’ai choisi de m’asseoir au milieu de la classe, à leur niveau, pendant le visionnage des témoignages dans le but de séquencer le cours entre le témoin et la prise de parole du professeur qui explique et qui met à distance. Néanmoins, il m’a fallu maîtriser la curiosité pour ne pas être débordée par le temps, leur faire comprendre que l’on ne peut pas tout voir du DVD. Le niveau de concentration et de compréhension du vocabulaire était très satisfaisant. Certains réagissent comme si le témoin se trouvait devant eux (pleurs dans la classe, discussions à la fin du cours ou avec d’autres collègues plus tard). L’identification est forte. Les élèves ont été très réceptifs à la qualité technique du DVD. En effet, il s’agit d’un outil « moderne » qui met en dynamique les acteurs d’un évènement sur les lieux mêmes de l’action. Les débats et les questionnements ont été nombreux, très enrichissants et d’un bon niveau (Peut-on qualifier les bourreaux d’ « hommes ordinaires » ?; Quelle est la part de la responsabilité individuelle dans ce crime collectif ?; Comment a-t-on gardé les preuves de ces assassinats ?…)

Qu’ont retenu les élèves ? Ils ont été évalués par un devoir maison qui leur proposait la description et l’explication d’une carte (les trajets des convois de toute l’Europe vers Auschwitz) et la fiche du convoi n°30 partant de Drancy. En quelques jours, j’ai pu récupérer la quasi-totalité des travaux ! Ce qui en soit est déjà une belle prouesse ! Les élèves ont écrit entre dix et 30 lignes. Les copies sont restées propres, le récit est bien écrit en phrases complètes comme demandé. Je rappelle que j’enseigne dans un collège classé en zone d’éducation prioritaire et que le passage à l’écrit pour les élèves reste difficile. Tout ceci montre qu’ils sont convaincus que la Shoah n’est pas un exercice habituel et que les victimes sont à respecter.

Pourtant, les notes ne sont pas très élevées :

– un devoir maison à faire pendant les vacances de Noël n’a pas été très judicieux

– j’ai sans doute été trop ambitieuse : mes élèves rencontrent de gros problèmes méthodologiques notamment de lecture de documents, d’association des éléments du document et du vocabulaire de cours

– les erreurs les plus fréquentes pour l’interprétation de la carte sont le fait de penser que tous les Juifs ne vont qu’en un seul trajet à Auschwitz, qu’il n’existe qu’un seul camp d’extermination, la confusion camp d’extermination / camp de concentration, la difficulté de relier l’extermination à Auschwitz-Birkenau à la conférence de Wannsee. En ce qui concerne la fiche du convoi partant de Drancy, le rôle de la police de Vichy n’a pas été compris. Deux élèves sur trente et un ne nomment pas les victimes comme juives (ce qui à mon avis est le plus grave).

Toutefois, les réussites sont aussi nombreuses. Ils ont bien compris la sélection, le gazage immédiat de la majorité des déportés enfants et des déportés plus âgés, le quotidien des prisonniers, le caractère raciste et injustifié du génocide, l’intérêt de témoigner.

Toutes ces remarques m’ont amenée à prendre du recul, à revisionner le DVD pour tenter un nouveau questionnement dans une nouvelle fiche pédagogique. Créer un support pédagogique pour traiter d’un évènement historique si particulier est un véritable défi ! J’ai souhaité dans celle-ci mettre en valeur les témoins de Mémoire demain, leur donner du sens en les confrontant à d’autres sources comme un extrait du journal du médecin SS, Kremer, ou au procès de Nuremberg. Là encore la question matérielle du temps pose problème. Les 2 heures de cours sont vites consommées, et j’ai consacré presque 3 heures à cette partie du programme. Mais, la parole et les réactions des élèves qui se transforment vite en débat sont difficilement quantifiables en termes de temps. Je devrais utiliser ce nouveau support l’année prochaine avec de nouveaux élèves.

L’exploitation pédagogique du DVD  Mémoire Demain  est passionnante. Cet outil ouvre de nouvelles perspectives dans l’enseignement de la Shoah dont pourront bénéficier les élèves.

Je tiens à remercier Claude Dumond pour l’attention accordée à mes élèves et à mes pratiques de professeur. Je remercie aussi l’Union des Déportés d’Auschwitz à la fois pour leurs témoignages mais aussi pour l’intérêt, éducatif et humain, qu’ils portent à nos jeunes.

Sandrine Lelièvre, professeure d’histoire.